Chapitre Trente-Et-Unième Ou Le Chapitre Perdu

Joude Bazzoun

Ce Qu’ Ils Virent En Syrie



Candide, Cunégonde et leurs camarades ont rapidement compris que leur jardin et leur travail ne leur apporteraient pas la tranquillité et le bonheur qu’ils désiraient pour bien longtemps. Ils décidèrent donc de quitter Constantinople, cette ville à laquelle ils se référaient maintenant à leur « chez-soi ». Suite à ses nombreuses aventures palpitantes, Candide s’attendait au pire. Au cours de chacune de ses expéditions, la vie l’initiait à de nouvelles horreurs et abominations qui s’amassaient incessamment. Il retint sa leçon malgré la désapprobation de son professeur Pangloss; il ne se trouvait malheureusement pas dans le meilleur des mondes possibles. Candide se demandait bien ce qu’il pouvait encore rencontrer comme absurdités.

Ils voyagèrent, et s’arrêtèrent plusieurs fois mais ils avaient une destination en tête, la Syrie. Ils rêvaient tous de ses plages de sable blanc, et de ses eaux azures dont les vagues s’écraseraient lentement sur la côte, formant de fins filets d’écume. Et alors que leur bateau arriva sur une plage déserte, ils n’étaient pas déçus. Candide sauta du bateau pour atterrir sur un sable fin, doux et mouillé. Il sentait chaque minuscule grain au contact de ses pieds nus. Le vent juste assez frais, ondulait à travers ses vêtements, ses cheveux et enlaçait son visage. Il se sentait libre de toutes inquiétudes et les vagues qui venaient lui lécher les pieds amenèrent avec elles une vague d’espoir, qui le replongea dans un optimise inéluctable. Les autres le rejoignirent. Ils profitèrent de la côte, pendant les quelques heures de soleil qu’il restait, et tandis que le ciel s’empourprait, ils commencèrent à se diriger en direction de la ville de Banias.

Ils marchèrent et arrivèrent aux portes de la cité. Candide avait oublié ce qu’il s’était passé après qu’il se soit retiré de l’armée des Bulgares. Il avait pourtant bien vu les massacres dont ils étaient les auteurs, quand ils n’étaient encore qu’en Turquie. Les images le hantaient toujours : les femmes et les enfants égorgés, les ruines enfumées, et les hommes dont on ne reconnaissait même plus les visages tant leur sang avait coulé.

Cependant la possibilité que les soldats aient continué leur guerre, qu’ils avaient peut-être égorgé d’autres femmes, d’autres enfants, ne lui avait même pas traversé l’esprit.

Devant la scène qui se présentait à lui, toutes les émotions, les sensations qui l’avaient submergé la première fois, refirent surface et brusquement il se sentit paralysé. La totalité de ce qui était autrefois des battisses, n’était plus qu’une montagne de pierre couverte d’un sang noir qui avait séché sous un soleil ardent. La poussière des ruines avait formé un brouillard permanent, et les aveuglait. Ils avancèrent pour découvrir une centaine ou peut-être deux cents corps empilés. On pouvait lire la terreur dans les quelques yeux encore ouverts des victimes. Chaque mort lui manquait au moins, un bras, une jambe, un oeil et souvent une oreille, curieusement. Comme à leur habitude, les Bulgares avaient tout volé et violé, massacré et saccagé. Il ne restait plus rien, plus aucune ombre de vie. Candide et ses partenaires étaient effarés, effrayés, horrifiés. Avec la fumée qui les entourait, l’odeur cuivrée du sang qui les écœurait, et les cendres qui remplissaient leurs poumons, ils ne voulaient qu’une chose : partir.

Dépités, ils retournèrent à leur navire. L’esprit noyait dans les images les plus sombres et funestes, ils hissèrent leur voile dans la nuit aussi noire que leurs cauchemars.

Quelques heures plus tard, le soleil se leva et inonda le monde d’une lumière jaune, chaude et rassurante. Les idées s’éclaircissaient, et les amis voyaient l’excitation du voyage revenir. Ils décidèrent donc d’accoster leur bateau sur un quai de Grèce.

Une fois de plus, les plages et la mer turquoise, les charmaient. Ils parcoururent le beau pays et ses paysages méditerranéens tout aussi éblouissants les uns que les autres. Même avec cet air humide et lourd qui les étouffait, ils ne s’arrêtaient pas. Chaque vue paradisiaque les laissait désireux. La sueur coulant le long de leurs tempes, les amis débarquèrent dans le petit village de Sidirokastro.

Ils se promenaient dans les ruelles étroites d’un quartier, lorsque de grandes affiches attirèrent leur attention. Sur ces dernières, étaient inscrit en grosses lettres : « LES BULGARES, NOS HEROS ! ». La vieille s’arrêta devant l’écriteau, bouche-bée : « Comment osent-ils ? Ces sacs à vin sont tout sauf des héros ! ». Déchainée, elle marcha vers le premier passant et l’aborda : « Monsieur que pensez-vous des mensonges imprimés sur cette pancarte ? », la vielle pointa d’un doigt accusateur l’enseigne derrière elle. L’homme répondit sur le ton le plus las et indifférent possible : « Quel est le problème ? Les Bulgares, pourvus de leur génie indéniable, sont à l’origine de la paix qui règne maintenant sur nos pays. N’entendez-vous pas ce délicieux silence. Plus de ces cris d’Abares qui débarquent leurs sabres levés pour tuer tout ce qui passe. Les Bulgares sont sans aucun doute nos sauveurs. ». Et sur ce, il continua son cours. La vieille se retourna, outrée. Dans ses yeux larmoyants, l’incompréhension était lisible. Le reste du groupe était tout aussi confus qu’elle. Ils poursuivirent leur chemin dans l’espoir de comprendre ce dont ils venaient d’être témoins.

Mais leur indignation ne fit que s’amplifier : les murs de tous les édifices étaient couverts d’inscriptions du même genre, chaque personne qu’ils rencontraient leur répétait les paroles exactes du premier passant, et toutes les gazettes étaient abreuvées des mêmes faussetés. La vérité était déplaisante en conséquence le peuple vivait dans le mensonge, tel était l’usage ordinaire.

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